
Composition de Pierrette
Sur les deux berges du canal,
Les béliers, ce peuple infernal,
Boivent leur pinard matinal
Le long d’un chemin communal
Qui conduit à la Tour-Vieillotte.
Les pingouins suivent ce chemin,
Et le frais soleil du matin
Verse son éclat opalin
Sur l’île des marmottes.
Dans le canal, tous les poissons,
Sous une vague au doux frisson,
Beaucoup moins gais que des pinsons,
Guettent d’un regard mollasson
L’étendard qui sur l’île flotte.
Grise la cour aux murs bien gris,
Comme on se sent loin de Cluny !
Tu dors dans ces lieux assombris,
Ô reine des marmottes.
Tout près de l’île, les béliers
Et leurs amis les chapeliers
Passent sur leurs petits voiliers,
Par centaines et par milliers,
En route pour la Tour-Vieillotte.
Dormant sous son bel étendard,
De ces humains bien trop ringards,
Elle détourne son regard,
La reine des marmottes.
Quelques béliers buvant très tôt
En mangeant des petits gâteaux,
De son chant saisissent l’écho
Porté par l’air et par les eaux
Jusque dessous la Tour-Vieillotte.
Sous la lune bleue, les crumbiens
Captant ce son, se disent : Tiens,
La belle voix, on dirait bien
La reine des marmottes.
Que ce soit le jour ou la nuit,
Dans la chambre où sa lampe luit,
Son pesant sommeil se poursuit,
De plus il lui est interdit
De regarder la Tour-Vieillotte.
Et tu ignores la sanction
Pour qui enfreint l’interdiction :
De là vient ta circonspection,
Ô reine des marmottes.
Mais tu as rêvé d’un miroir
Qui t’a tout de même fait voir
Ce monde sur un écran noir.
Tu vois la route que, le soir,
Corax suit vers la Tour-Vieillotte.
Tu vois l’écluse du canal
Avec le banc municipal
Où Galapiat lit son journal,
Ô reine des Marmottes.
La route est pour les chapeliers,
Elle est aussi pour les béliers,
Tous vont, à cheval ou à pied,
Ayant mis leurs plus beaux souliers,
Picoler à la Tour-Vieillotte.
Ce que le miroir montre mieux,
C’est ce qu’ils font, parfois, à deux.
Tu voudrais bien faire comme eux,
Ô reine des marmottes !
Et tu vis avec ton espoir,
Scrutant la face du miroir.
Lorsqu’un corbillard, dans le soir,
Passe, entouré des pingouins noirs
Avançant vers la Tour-Vieillotte,
Lorsque le soleil de midi
Sur une noce a resplendi,
J’ai assez vu ces ombres, dit
La reine des marmottes.
Escorté de trois pingouins blancs
Qu’il nourrissait avec des glands,
Sous un grand soleil aveuglant,
Tu vois ici, déambulant,
Le vaillant Don Quichotte.
Il entonne un hymne pascal,
Bien que son talent musical
Te semble celui d’un chacal,
Ô reine des marmottes.
Les pingouins ont telle blancheur
Qu’autour d’eux, règne la fraîcheur.
Le chevalier, vaillant marcheur,
Grand poète, puissant chercheur,
Avance vers la Tour-Vieillotte.
En marchant, il sonne du cor
Ce cor qui sonne pourtant fort
Ne trouble guère ton confort,
Ô reine des marmottes.
Le ciel de bilan est serein,
Mais pour la marmotte il est plein
D’orages que trop elle craint.
Quichotte arpente le terrain
Qui s’étend sous la Tour-Vieillotte,
Son armure sous le soleil
Reluisant d’un éclat vermeil
À Thérèse ôte le sommeil,
À la Reine Marmotte.
Or, ce chanteur d’hymne pascal,
Vaillant, rustique et monacal,
Promène son corps vertical
Et sourit d’un air amical
Aux béliers de la Tour-Vieillotte.
Il parle à ses trois pingouins blancs,
Tout en leur caressant les flancs,
Ce chevalier noble et troublant,
Le Seigneur Don Quichotte.
Alors, ton sommeil s’est enfui.
Tu tournes ton regard vers lui,
Qui dans ton esprit s’introduit.
Alors, pour toi, vraiment, c’est cuit,
Car tu as vu la Tour-Vieillotte.
Ah ! c’en est fini de dormir,
L’eau du canal peut bien frémir,
Sur toi les poissons vont gémir,
Ô reine des marmottes.
De l’est souffla un mauvais vent.
Les béliers à peine vivants,
Disaient tous : Mais c’est énervant !
Du ciel de bilan est pleuvant
L’orage sur la Tour-Vieillotte.
Marchant, légère comme un chat,
Du rivage elle s’approcha,
Et sur le canal se pencha,
La reine des marmottes.
L’eau du canal la transporta
Dans un plutôt piteux état
Jusqu’à un genre de delta,
Et puis lorsqu’elle s’arrêta,
Elle fut à la Tour-Vieillotte.
Mais son esprit était hagard,
Comme ayant bu trop de pinard,
Elle était au fond du coaltar,
La reine des marmottes.
Elle gisait, les bras ballants,
Et laissait son esprit en plan.
Elle entendait les pingouins blancs
Disant entre eux : C’est fort troublant,
Et les gens de la Tour-Vieillotte
Ont dit à leur tour : Voyons voir,
Celle qui vivait dans le noir,
C’est elle, la reine au miroir,
La reine des marmottes.
Le gyrovague alors chanta,
L’air de Shalott il inventa.
D’un pas furtif, il arpenta
L’embarcadère, et il tenta
De conduire à la Tour-Vieillotte
La reine Thérèse aux yeux verts,
Celle qui dormait tout l’hiver
Et que nous chantons en ces vers :
La reine des marmottes.
Alors les béliers de la tour,
Parés de leurs plus beaux atours,
Se rassemblèrent à l’entour,
Un peu comme font les vautours.
Grand silence à la Tour-Vieillotte.
Ils contemplaient, pas trop sûrs d’eux,
Un être issu d’un autre lieu,
Et dont l’état semblait piteux,
La reine des marmottes.
Qui donc ? la reine ? Ah oui, mais on
En avait une à la maison !
Or, nous n’avons pas de raison
D’en changer en cette saison,
Dirent ceux de la Tour-Vieillotte.
Mais Don Quichotte, avec bonté,
De ton état s’est inquiété.
Il te soigna tout un été,
Ô reine des marmottes !
