
http://igabiwa.centerblog.net/6575070-stargate-atlantis-la-porte-des-etoiles
Au centre d’Héraldie se trouve un grand lac parsemé d’îles luxuriantes. Ses eaux, couleur vert-émeraude, sont toujours calmes et les Héraldiens l’ont appelé le Grand Lac de la Sérénité. Faire le tour du lac prend quelques jours, aussi ont-ils installé à chaque point cardinal une porte trans-spatiale, qui permet de voyager en quelques secondes d’un point à un autre autour du lac, soit diamétralement, soit transversalement.
Porte sud, le 3 juin 2018 à 15h15, cinquante-deux noix prennent place dans le sas de départ pour rejoindre la porte nord. Elles n’arriveront jamais à destination. Malgré des recherches poussées les Héraldiens durent se rendre à l’évidence que les noix n’étaient arrivées nulle part et s’étaient volatilisées dans l’espace-temps, de quoi jeter le trouble dans l’esprit de beaucoup. Peu à peu le souvenir de ces noix s’estompa et le mystère du vol FHF21 semblait devoir rester à tout jamais inexpliqué.
À tout jamais !!?? Non, non, non. Nous sommes en Héraldie et, tôt ou tard, l’inexplicable finit toujours par s’expliquer.
Porte nord, le 21 octobre 2019, six noix réapparurent soudainement, puis six autres trois jours après. Elles eurent aussitôt droit aux honneurs des Héraldiens, toujours prompts à s’extasier sur d’hypothétiques miracles, et furent immédiatement publiées* dans l’Héraldic Blog, l’internet-gazette locale appréciée de tous.
Bien entendu je voulus en savoir plus. Le 25 octobre j’ai donc envoyé le Troll interviewer les noix rescapées. Il fut difficile à convaincre car, aucune noix n’ayant jamais parlé, il ne voyait pas comment faire pour y arriver. Je lui rétorquai qu’en Héraldie tout est possible, et que, pour quelqu’un comme lui, qui côtoyait régulièrement le Grand Barbu, ce serait un jeu d’enfant. Pas très convaincu mais gonflé à bloc, muni de son smartphone, il se créa un passage et disparut.
Le Troll revint le lendemain. Il avait la mine renfrognée des mauvais jours. Il m’expliqua qu’il avait réussi à faire parler les noix, que ce qu’il avait enregistré dépassait l’entendement humain et qu’il n’était pas sûr que je comprenne. Je fis taire cet impertinent et lui ordonnai de me faire écouter sur le champ son enregistrement. Voici donc ce que les noix ont raconté :
« « Au lieu d’arriver à la Porte nord comme prévu, nous nous sommes retrouvées perdues dans un immense jardin rose et blanc peuplé d’une multitude de noyers en fleurs dont le feuillage baignait dans une clarté diffuse. Nous flottions dans l’air saturé d’une senteur qui nous fit perdre nos sens tellement sa présence était enivrante. Abandonnées à cette douce jouissance nous progressions entre les noyers qui nous susurraient des mots doux quand soudain nous débouchâmes dans une immense clairière au milieu de laquelle s’élevait, majestueux, un noyer d’une beauté et d’une prestance inégalées. Une voix résonna en nous, nous demandant d’approcher et de ne pas avoir peur. Arrivées au pied du Magnifique, comme nous le surnommions déjà, celui-ci nous parla :
« Bonjour, mes petites noix, je suis le Grand Noyer, le père de tous les noyers des mondes connus et inconnus. Je suis donc aussi le père de toutes les noix. Mais, dites-moi, mes toutes belles, pourquoi êtes-vous ici ? L’heure de me rejoindre n’est pas encore arrivée pour vous. »
Nous lui expliquâmes que nous arrivions d’Héraldie et qu’il semblerait que notre vol spatial se soit égaré en route.
« Ah oui, je vois , je vois tout maintenant, c’est un dénommé JR qui vous a expédiées pour être publiées. Il est toujours accompagné par un Troll un peu timbré et surtout porté sur la bière. Ne vous étonnez pas, c’est mon métier de tout voir et de tout savoir, même l’inavouable. Mais il va falloir maintenant que vous retourniez en Héraldie pour avoir les honneurs de leur gazette. Cependant le temps tel que vous le concevez passe vite ici, il y a déjà plus d’un an que vous êtes parties. Je vais donc vous renvoyer six par six, car il me faut faire durer ce qui va être considéré comme un miracle, c’est bon pour ma réputation. En attendant vous pouvez aller batifoler avec tous mes enfants, ils savent parler aux noix. »
Voilà, tu sais tout, le Troll. Nous sommes déjà douze à être revenues. Notre retour dépend uniquement du Grand Noyer et de son bon vouloir. Celles qui sont encore dans ce jardin extraordinaire doivent être en train de somnoler béatement au pied de noyers amoureux. » »
Inutile de vous dire qu’au cours de cette narration, je suis tombé sur mon céans. Cela dépasse effectivement mon entendement. Je demandai au Troll s’il avait autre chose à me dire. Effectivement, les noix avaient chanté après l’interview, mais il avait déjà arrêté l’enregistrement. Je lui demandai de m’écrire ce dont il se souvenait, même phonétiquement. Voilà ce qu’il a griffonné sur un bout de papier :
« Noooyer louya, noooyer louya, noyeeer louya. »
Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre.
« Dis-moi, le Troll, avant l’interview des noix, es-tu allé faire un tour chez le Grand Barbu ? Réponds-moi franchement ! »
« Oui. »
« Mais veux-tu parler plus fort ! »
« Oui. »
Je m’en doutais, j’en suis sûr maintenant ! Encore de la retape pour les petits cerveaux !
