
Toile de Ernst Ludwig Kirchner
Comme je recherchais une rime impossible,
Je ne me sentis plus guidé dans mon labeur ;
L’hommage éblouissant que j’avais eu pour cible
Se retrouvait tout nu et de pâle couleur.
J’étais insoucieux des césures épiques,
Des sonnets inspirés d’un madrigal anglais ;
Quand mon esprit cessa d’envoyer de ses piques,
Le silence m’a dit tout ce que je voulais.
Entouré des griffons farouches de la toile,
Moi, l’autre jour, plus fou qu’un sonneur d’olifant,
J’écrivis, et mes vers montaient vers les étoiles,
Quittaient le sol terrestre en Pégases piaffants,
Et j’ai chanté l’amour du monstre maritime,
De la grenouille verte au bord de son étang,
Quand d’un seul coup de foudre ils sont tous deux victimes
Et que l’amour tragique en chacun d’eux s’étend.
Je sais l’archange mou que ronge le délire,
Consommant des alcools aux ignobles parfums
Dont il croit rallumer la flamme de sa lyre
Pour chanter la douceur de son amour défunt.
Puis il déguste aussi l’absinthe d’émeraude,
Car il veut enivrer deux âmes dans son coeur
Celle de l’oiseau-mouche en pleine saison chaude,
Celle de l’ours polaire au temps du froid vainqueur.
Alors, le vieux rhapsode, ainsi doublement ivre,
Avaleur de souffrance et raconteur d’amour
Entretient de ses vers la vision d’une vouivre
Ayant au fond des eaux plus d’un secret parcours.
Il exulte du vaste et fol itinéraire,
Qui ne lui permet point d’instant inattentif,
Le soupir de la muse aux accents littéraires,
L’esprit calculatoire et le coeur inventif.
Assez ! J’ai trop rimé ! J’ai vidé tout mon rêve !
Toute rime est sans force et tout sonnet amer ;
L’encrier me demande (et la plume) une trêve,
Planons avec la mouette au-dessus de la mer !
