CHRONIQUES DE L’ ANCIEN MONDE 5

L’Union des Forces Libres (partie 2)

Nous avions quitté Ninquelotë depuis bien longtemps déjà et progressions péniblement sur un sentier sinueux à peine visible quand le hurlement se fit de nouveau entendre, plus net. L’origine de ce cri ne semblait plus très loin. La paroi de la montagne était proche. La roche était maintenant nue et assez granuleuse pour nous empêcher de glisser. Soudain un escalier taillé dans la pierre nous apparut, raide, les marches très rapprochées et pas trop hautes. Voilà qui nous incitait à grimper droit sur la paroi. Des paliers savamment aménagés à intervalles réguliers permettaient de prendre un peu de repos avant la grimpette suivante. Soudain, au-dessus de nous, sur ce qui semblait être le palier final, une grande bête blanche, belle et majestueuse, bien campée sur ses quatre pattes, nous regardait fixement.

Une voix résonna alors dans nos têtes :

« N’ayez pas peur, envoyés de notre Créateur, je vous attendais. Vous pouvez me parler sans crainte et vous fier à moi, je suis là pour vous guider. Je m’appelle Nymëria, je suis la louveraine des Loups, je règne sur les meutes des plaines et des territoires montagneux. JR et Roxanne, je vais maintenant vous emmener loin au-delà des montagnes, là où règnent les forces du mal, sous les ordres de Lucifer ».

Qu’une bête puisse nous parler ainsi par transmission de pensée ne nous effraya nullement, et nous nous empressons de la rejoindre. Elle nous emmena directement vers le flanc de la montagne. Un passage à travers la paroi nous apparut bientôt. Nous suivîmes Nymëria à l’intérieur. Deux loups gris gardaient un passage étroit, qui s’élargit peu à peu. Nous débouchons rapidement dans une grande salle. Au plafond des milliards de lucioles donnaient un air féerique à la grotte. Au sol une meute de loups se reposait. Le mâle dominant s’approcha et fit museau-museau avec Nymëria. Ils communiquèrent par des grognements rapides et saccadés. Apparemment seule la louveraine possédait ce don de communiquer par la pensée avec nous.

Après avoir traversé plusieurs grottes successives, toutes occupées par une meute, nous arrivâmes de l’autre côté de la montagne. Une magnifique vallée verdoyante s’étendait vers l’est à perte de vue. Des milliers de chants d’oiseaux réchauffaient l’atmosphère, le feuillage des arbres frémissait de plaisir. Tout, ici, semblait nous souhaiter la bienvenue. Dans le lointain une autre montagne se diluait dans la chaleur de l’air.

« Les villages des Nains se trouvent à une journée de marche », nous dit Nymëria. « Je vous y accompagnerai à notre retour. Les Nains ont leurs forges dans la montagne en face, et en ce moment ils travaillent sans relâche à la fabrication d’armes qui, j’espère, donneront la victoire aux forces coalisées dans la grande bataille qui semble se préparer. Est-ce que je me trompe, JR ? »

« Pas du tout, Nymëria. Nous sommes ici uniquement pour cimenter l’union de toutes les forces qui veulent s’opposer aux Infernaux. Moi aussi je suis persuadé qu’une grande mêlée aura lieu sous peu. Mais dis-moi, quel est ce grand oiseau qui tournoie au-dessus de nous depuis un moment ? »

« C’est Gwaihir, l’aigle qui règne sur tous les oiseaux. Si tu regardes bien en contrebas tu apercevras Grögnard, l’ours. Tous les deux sont venus pour vous signifier qu’ils seront là avec les leurs quand le temps sera venu. »

Je fis un signe de la main à chacun des deux pour bien leur montrer que je les avais vus et que j’appréciais leur présence. L’aigle descendit planer devant nous puis s’éloigna, l’ours poussa un énorme grognement puis disparut derrière les arbres.

« Bien, il est temps maintenant de se mettre en route vers les terres du Lucifer, à l’ouest. Deux loups nous précéderont pour nous ouvrir le chemin. »

Nous attendîmes quelques instants après le départ des loups, puis nous nous mîmes en route. La progression se fit lentement le long d’un sentier à flanc de versant. Bientôt la vallée verdoyante fit place à une succession de collines que nous franchissons aisément. Elle nous apparut alors, la montagne noire, la porte du domaine des Infernaux. Au sommet quelques volants montaient la garde en tournoyant dans un ciel grisâtre.

« Rassurez-vous, nous connaissons un passage caché qui nous emmènera au sommet. C’est derrière que tout se passe. Mais nous attendrons demain car la nuit commence à tomber. De plus, à l’aube, ils se méfient moins là-haut. »

Nous passâmes la nuit dans un gros bosquet. Peu avant l’aube les deux loups qui nous précédaient descendirent nous dire que la voie était libre. Notre petite troupe se mit en route immédiatement. Comment avons-nous fait pour atteindre le sommet, je ne le sais pas, le chemin d’accès était bien caché et apparemment seulement connu des loups. Nous arrivons sur un petit plateau et Nymëria nous conseilla de nous rendre invisibles. Nous avançons sans problème vers l’autre versant. Ce que nous vîmes alors nous glaça d’effroi.

Devant nous, à perte de vue, un immense cratère brunâtre d’une grande profondeur, grouillait d’êtres ignobles qui sortaient de terre par centaines à la fois.

« Ce sont les Orques qui sortent des entrailles du cratère », nous dit Nymëria, « ils sont encadrés par les Urukhaïs, ce sont les plus grands et les plus intelligents. De l’autre côté du cratère vous pouvez apercevoir la tour qui sert de logis au Lucifer. Il surveille ses troupes d’en haut. »

Soudain, comme sorti de nulle part, un grand loup noir se présenta sur le plateau.
« C’est le Warg Galadan, le chef des loups noirs qui on fait allégeance au Démon. »
Les deux loups se firent face. L’affrontement semblait inéluctable.

Le combat n’eut pas le temps de commencer. Tout se joua très rapidement. Un Urukhaï surgit soudain sur le plateau. Il banda son arc pour abattre Nymëria. Une flèche elfe tirée par Roxane lui traversa la tête avant. La flèche de l’Urukhaï partit quand même et transperça la patte avant droite de Galadan, qui s’aplatit au sol en gémissant.

Le Warg se mit à trembler, le regard apeuré, sentant bien que quelque chose lui échappait dans ce qu’il venait de se passer. Nymëria s’approcha de lui et susurra sournoisement :

« Les Trolls sont là, Galadan, le Créateur les a envoyés pour te châtier, toi et les tiens. Tu es le chef, c’est toi qui mourras donc en premier. Tu serviras d’exemple aux autres. »

Je pris ma hache et l’agitai devant la gueule du Warg qui devint de plus en plus nerveux.

« Prépare-toi à mourir, Galadan, je vais t’enlever la tête ».

C’en était trop pour le chef des loups noirs. Il devint aussi doux qu’un agneau, troublé par ce qu’il croyait être de la magie.

« Épargnez-moi, je vous servirai loyalement avec les miens. »

« D’accord, Galadan, nous allons te soigner et c’est avec ton sang que tu apposeras ta marque sur le parchemin de l’Union. »

Roxane attrapa la patte du loup, cassa le fut au plus près des poils et tira fortement la flèche de l’autre côté de la blessure. Ce pauvre Galadan, très ému de ne pas voir qui s’occupe de lui, n’eut pas le temps de grogner. Nymëria trempa la patte dans le sang qui s’écoulait de la plaie et mit son empreinte au bas du parchemin que lui tendait Roxane, qui inscrivit au-dessus :

« Nymëria et Galadan, au nom de tous les animaux. »

Puis elle finit de soigner la blessure en essuyant le sang avec des feuilles et en bourrant le trou des deux côtés avec une pâte molle sortie de sa besace.

« Vraiment pleine de ressources, cette trollesse », pensai-je en moi-même.

Nymëria nous demanda de repartir avec ses deux compagnons qui nous attendaient sur le chemin du retour et resta discuter un bon moment avec Galadan. Elle nous rejoignit alors que la descente était déjà bien entamée. Nous étions bien fatigués et rêvions d’un bon repos dans les grottes. Chaque jour qui passe voit l’Union s’agrandir et c’est une bonne chose. Bientôt nous traverserons la vallée pour rencontrer les Nains.

JR